77 ° FESTIVAL DE CANNES
En ce mois de mai 2024, nous n'étions pas sur les célèbres planches de Deauville mais bel et bien sur la Croisette. Pourtant, cette 77e édition du Festival international du film de Cannes avait des airs de festival du cinéma américain.
Dès la cérémonie d'ouverture, le ton était donné ! Tout d'abord avec la Présidente du jury international des longs-métrages, consacrée reine du box-office mondial 2023 avec « Barbie » : Greta Gerwig eut droit à son hommage en chanson par Zaho de Sagazan.
Ensuite, après un très long égrenage de sa carrière, ce fut la Palme d'or d'honneur remise par Juliette Binoche à Meryl St reep, qui n'était pas revenue à Cannes depuis 35 ans lorsqu'elle recevait le Prix d'interprétation féminine pour « Un cri dans la nuit » et qui restait sa seule apparition au Festival de Cannes.
Le festival ainsi lancé, s'enchaînaient ensuite tout au long de cette édition, les retours remarqués de stars qui n'avaient plus gravi les marches rouges du Palais des Festivals, pour certaines, depuis plusieurs dizaines d'années.
Parmi celles-ci, Kevin Costner, venu présenter hors compétition en avant-première mondiale « Horizon : An American Saga » et recevoir des mains de la Ministre de la Culture, Rachida Dati, l'insigne d'officier de l'Ordre des Arts et des Lettres.
Avec « Megalopolis », présenté en compétition, le réalisateur du « Parrain » et d' « Apocalypse Now », reparti de Cannes deux fois avec la Palme d'or (pour « Conversation secrète » en 1974 et « Apocalypse Now » en 1979) : Francis Ford Coppola a fait son grand retour à 85 ans et son premier film depuis 2011.
C'est à 83 ans que Faye Dunaway, elle, est revenue à Cannes cette année présenter « Faye », le documentaire du français Laurent Bouzereau qu'il a consacré à cette immense actrice.
Après 27 ans d'absence sur la Croisette, Demi Moore a enflammé le tapis rouge pour la présentation officielle en compétition de « The Substance », œuvre de la réalisatrice française Coralie Fargeat.
Venu présenter également en compétition « Oh, Canada » de Paul Schrader, la dernière visite de Richard Gere à Cannes ne remontait pas à un Festival international du film, mais à un MIPCOM en 2018. Mais c'était seulement la 4e fois que cette icône du cinéma montait les fameuses 24 marches rouges. À noter qu'en 1991, Richard Gere était présent pour « Rhapsodie en août » du réalisateur japonais Akira Kurosawa, d'où a été extraite l'affiche officielle de cette édition 2024 du festival.
Autre grand absent du Festival de Cannes depuis des décennies : Nicolas Cage a fait son grand retour après quasiment 30 ans d'absence. La dernière fois qu'il était venu c'était pour présenter en séance spéciale « Kiss of death » de Barbet Schroeder en 1995. En 1990, il avait marqué les esprits par sa reprise de « Love me tender » dans « Sailor et Lula » de David Lynch, Palme d'or cette année-là. Il retrouva cette année la Sélection officielle hors compétition en séance de minuit avec le film de l'irlandais Lorcann Finnegan : « The Surfer ».
Comme il avait commencé 12 jours auparavant, ce festival 2024 se termina par la « réunion » de deux monstres sacrés sur scène. En effet, c'est à Francis Ford Coppola que revint, lors de la cérémonie de clôture, la tâche de remettre à son ami Georges Lucas, une Palme d'or d'honneur. Venu pour la première fois en 1973 avec « THX 1138 », le père de « Stars Wars » avait pu donner, quelques heures avant de recevoir cette distinction honorifique, une masterclass à quelques centaines de festivaliers chanceux et privilégiés.
Si on ajoute à cela, la célébration des 100 ans de la Columbia Pictures, autre major hollywoodienne à être célébrée durant un festival, après le centenaire de la Warner l'an dernier, la présentation hors compétition en avant-première mondiale de « Furiosa : A Mad Max Saga » de Georges Miller, distribué par Warner Bros., et l'arrivée de nouveaux partenaires officiels américains du festival (Comme Microsoft : la multinationale informatique ou encore JP Morgan : la banque d'affaires new-yorkaise la plus grande des États-Unis et l'une des plus importantes du monde), il est incontestable que la Présidente du Festival de Cannes, Iris Knobloch (qui vivait cette année son 2e festival en tant que Présidente, après en avoir pris les rênes à la suite de Pierre Lescure), impose sa patte « américaine », puisque durant sa carrière elle occupa des postes très importants au sein de la Warner.
America First ! Tel semble désormais être l'avenir du Festival de Cannes.
Christophe Colliat-Dragon
Le clap de fin vient de clôturer le 77e Festival international du film de Cannes. Le rendez-vous annuel des stars du 7e art sur la Croisette a été attendu, une fois de plus, avec autant d'excitation que de crainte par les locaux, d'autant que cette édition a de nouveau battu des records de fréquentation : du 14 au 25 mai 2024, plus de 50 000 accrédités ont célébré leur passion pour le cinéma.
Ce ne sont ni les grandes stars ni les blockbusters qui animent seuls la Croisette pendant une douzaine de jours, mais les nombreux événements, rencontres et innombrables petites étincelles qui forment le firmament cannois du Festival international du film. Ainsi, notre palmarès personnel, avec tout le respect qu'on doit aux jurys illustres, a primé des découvertes quelque peu différentes du palmarès officiel de ce Festival.
Une ouverture prometteuse du Festival a été réussie grâce au film de Quentin Dupieux, « Le Deuxième Acte », autant par son humour du troisième degré habituel que par sa remise en question du rôle des humains dans la création cinématographique d'avenir sous les reins de l'intelligence artificielle - sujet très actuel suivant la grève de nombreux acteurs et actrices hollywoodiens face à la « menace du nouveau ». En comparaison, le traitement de l'emprise de l'AI sur l'humanité dans un futur imaginé paraît fade et simpliste par le pourtant grand David Cronenberg dans « Les Linceuls » (« The Shrouds »), film en compétition officielle qui fut une déception.
Parmi les films de la compétition remarquables, Jeremy Strong aurait sûrement mérité le Prix d'interprétation masculine dans « The Apprentice » (« L'Apprenti »), film qui relate avec une ironie nonchalante l'ascension de Donald Trump dans le monde immobilier. Strong incarne parfaitement la figure de Trump en tant que vampire moderne, tandis que « Diamant brut », porté par la double révélation d'une cinéaste (Agathe Riedinger) et d'une actrice, un film sur l'obsession de toute une génération par le mirage de la télé-réalité, aurait mérité le Prix de la meilleure interprétation féminine pour la performance brillante de la jeune actrice Malou Khebizi. « La Jeune Femme à l'aiguille » de Magnus von Horn, avec Trine Dyrholm dans le rôle d'une tueuse en série de nourrissons dans les années 1910 au Danemark, film en noir et blanc tiré d'un fait divers réel qui décrit la grande misère causée en particulier aux femmes démunies par la société capitalistico-patriarchale, nous a touché profondément.
Dans la même veine des thèmes sociaux, « Bird » d'Andrea Arnold dépeint les douleurs et les rêves des jeunes défavorisés face à un quotidien violent du prolétariat anglais, avec autant de sensibilité que de subtilité. Les animaux jouent souvent un rôle décisif dans les films de cette cinéaste britannique, et « Bird » réunit tout un bestiaire comme protagonistes du destin partagé de la jeune Bailey, mais ce sont les oiseaux qui ont une importance quasi mystique ici.
Toutes sections confondues, les animaux et la nature, mais surtout l'influence souvent néfaste de l'être humain sur ces derniers ont soulevés des questions philosophiques plus profondes sur le mal-être de l'humanité dans nombre de films présentés cette année. Ainsi, « Le procès du chien » (Section Un Certain Regard), un film de Laetitia Dosch, nous a enchanté autant par son humour que par son questionnement du traitement des animaux et de leur place dans notre monde moderne. Dans « Sauvages » (Séance spéciale), film de marionnettes par le très remarqué Claude Barras, déjà récompensé de justesse en 2016 pour son film « Ma vie de Courgette », raconte une fable écologique sur les droits des autochtones dans la forêt vierge menacée par la déforestation et les plantations de production d'huile de palme. Une fois de plus, Barras et son équipe ont fait preuve de leur grand savoir-faire artistique dans le domaine de l'animation haut en couleurs qui enchantera les petits comme les grands spectateurs et prouvent qu'on peut rendre accessible les sujets pressants de l'écologie au plus jeune public moyennant un récit passionnant. D'un style tout à fait différent, « The Falling Sky » est un documentaire immersif sur le lien profond qui unit le peuple indigène Yanomami à la nature et sur leur lutte contre la déforestation, une grave menace pour leur mode de vie et l'écosystème de l'Amazonie brésilienne qu'ils considèrent comme leur foyer. Ce film présenté à la Quinzaines des Cinéastes impressionne par sa sobriété qui lui donne toute sa force expressive. Parmi les nombreux films d'animation présentés cette année à Cannes, "Flow" (Section Un Certain Regard),
dans lequel le cinéaste lettonien Gints Zilbalodis donne sa vision d'une arche de Noé privée de présence humaine avec, à la place, un chat comme protagoniste de ce récit d'aventure qui met en exergue les rapports mutuels et le sens de la solidarité pour la survie des espèces. La contribution de Michel Hazanavicius à la compétition du 77e Festival de Cannes intitulée «La plus précieuse des marchandises», encore un film d'animation pas assez remarqué par le Jury, nous a ravi par son humanisme et son récit bouleversant qui révèle le pire comme le meilleur du cœur des hommes.
Plus le retour d'un grand cinéaste est attendu avec impatience sur la Croisette, plus la déception est grande quand l'œuvre présenté rate le coche. Ainsi fut le cas cette année pour le film de Paolo Sorrentino, «Parthenope». Le potentiel du récit est énorme et la déception était d'autant plus grande que nous connaissons Sorrentino comme un grand fabulateur d'images grandioses et de récits touchant au surréalisme. À la place, il nous promène sans cesse dans un décor digne d'un magazine de mode glamour stérile dans la première moitié du film, tandis que dans la seconde partie, quand il amène les spectateurs dans les bas-fonds napolitains et qu'un vrai récit digne d'une narration à la hauteur de ce metteur en scène pourraient éclore enfin, il est trop tard pour raconter l'histoire. Le résultat est une accumulation de décors fastueux et de belles images sans profondeur.
Paul Schrader nous a présenté avec « Oh, Canada » un film confus dont le scénario paraît faible et incomplet, malgré les prestations convaincantes des grandes stars tels que Richard Gere et Uma Thurman dans les rôles principaux.
Mais la pire déception était sans doute la contribution du grand Francis Ford Coppola à la compétition. Ce cinéaste légendaire nous a plongé dans un péplum aux décors fastueux, juste pour nous prêcher des banalités à l'américaine. Le résultat est d'une platitude sans nom et un gaspillage d'énormes moyens financiers malgré la prestation remarquée d'Adam Driver dans le rôle principal. Qu'est donc devenu le grand metteur en scène d'«Apocalypse Now» ? Un brave citoyen américain, style donneur de leçon de morale.
Heureusement cette 77e édition du Festival de Cannes nous a aussi réservé de très belles surprises et des moments de joie pure. « Emilia Pérez », le film présenté par Jacques Audiard à la compétition, réunissait tout : un récit passionnant, un scénario solide, une mise en scène originale dans le style d'une comédie musicale, des prestations d'acteurs convaincantes. Le jury des longs métrages a récompensé à juste titre ce film par le Prix du jury et un Prix d'interprétation féminine d'ensemble pour les quatre actrices principales, même si nous aurions donné le prix de la meilleure prestation féminine a un autre film en compétition (voir ci-dessus).
Un autre film nous a surpris par sa beauté et la subtilité de son récit : «All we imagine as Light» de la cinéaste indienne Payal Kapadia, Grand prix cette année. Ce double portrait des amours contrariées, d'une sensualité et d'une élégance éblouissante parvient à transformer les aspects les plus prosaïques du quotidien indien en poésie et retranscrit ainsi la grande fragilité émotive de ses personnages.
Quant à la Palme d'or, le film «Anora», est certainement une contribution hors norme : situé dans le milieu du travail du s exe, ce film d'une grande maîtrise qui avance à un rythme effréné dans un style de «gangster movie» américain est drôle et triste à la fois avec des répliques parfois surréalistes des protagonistes et un divertissement garanti - marque de fabrique du très doué Sean Baker qui s'est déjà fait remarquer dans le passé avec des longs métrages tel que «Tangerine» ou «Red Rocket».
Toutefois, le plus grand moment de ce 77e Festival de Cannes fut incontestablement notre Palme d'or coup de cœur et la montée des marches du réalisateur iranien Mohammad Rasoulof pour son film «The Seed of the Sacred Fig» («Les Graines du Figuier sauvage»), qui raconte l'histoire des récents soulèvements populaires contre le régime iranien, mais du point de vue d'un des bourreaux, malgré lui en quelque sorte. Le jury a décerné un Prix spécial à cette œuvre extraordinaire, tandis que le public présent dans la salle a honoré Rasoulof, qui avait fraîchement fui son pays juste avant le Festival, par vingt minutes de «standing ovation», pour une partie sûrement avec les larmes aux yeux. Voilà un de ces moments inoubliables qui rentreront sûrement dans les annales du Festival de Cannes.
Monika Woltering