Samedi 27 Juillet 2024
Le sublime illumine Monaco en cet été 2024
Présentant un ensemble d'œuvres importantes dans une scénographie inédite de plus de 2000 m2, le Grimaldi Forum de Monaco invite cet été à un voyage sublime à travers la découverte d'une sélection unique de 38 huiles sur toile et 40 œuvres sur papier (aquarelles et gouaches) qui révèlent la conception éminemment sensible et poétique du paysage du peintre britannique Joseph Mallord William Turner (1775 - 1851), illustrant son style novateur et ses qualités d'abstraction sans équivalent dans l'histoire de la peinture. Jusqu'au 1er septembre, les visiteurs de la grande exposition d'été du Grimaldi Forum ont le privilège de voir des œuvres d'art rarement montrées au grand public en si grand nombre et en qualité, grâce à un prêt généreux et inédit de la Tate Collection dans une mise en scène très originale qui prend la forme d'un dialogue entre ce maître précurseur des Impressionnistes et des œuvres d'artistes modernes et contemporains majeurs incluant John Akomfrah, Olafur Eliasson, Richard Long, Cornelia Parker, Katie Paterson, Mark Rothko, Wolfgang Tillmans ou encore Jessica Warboys.
L'influence déterminante de Turner sur la peinture et par extension sur le thème central de l'exposition, à savoir la représentation du sublime dans l'art, devient palpable dans son exploration de la nature - présentée ici sous la forme d'un parcours avec des titres tels que « Ciel et mer », « Tempête en mer », « Venise : cité du sublime » ou encore « Le sublime des éléments » - et par la mise en évidence des rapports entre l'homme et la nature, y compris par une représentation critique de l'impact de l'homme sur l'environnement qui rejoint les thèmes urgents du présent.
La sensibilité exacerbée du courant romantique auquel Turner appartenait s'exprime parfaitement dès la première salle de l'exposition intitulée « Prélude », dans ses esquisses de scènes nocturnes où le clair de lune balaie la surface de l'eau, illuminant en partie le paysage environnant. Celles-ci sont juxtaposées à grand effet à l'œuvre contemporaine de Katie Paterson (née en 1981) qui a travaillé sur un phénomène naturel spectaculaire : l'éclipse solaire. Une boule à facettes, sur laquelle sont imprimées les photographies de presque toutes les éclipses solaires documentées à ce jour, projette en un mouvement de rotation des milliers d'images dans la pièce. Cet environnement lumineux brouille la frontière entre le jour et la nuit, la lumière et l'obscurité, et transporte le spectateur dans une ambiance extraterrestre.
Qu'au-delà des aspects purement esthétiques du traitement élémentaire de la lumière et de l'atmosphère qui envoutent le spectateur, Turner s'intéressait aux thématiques environnementales, est suggéré de manière subtile mais poignante dans un tableau tel que « Hourra ! Pour le baleinier Erebus ! Un autre poisson ! » exposé en 1846. Ce tableau peut être interprété comme une critique sévère de la chasse aux baleines, pratique encore très courante à l'époque de Turner, tandis qu'en effet de miroir, projetée sur 3 énormes écrans en parallèle, l'œuvre vidéo « Vertigo Sea » de John Akomfrah (né en 1957), éminent artiste et cinéaste londonien d'origine ghanéenne, met en évidence l'avidité, l'atrocité et la cruauté de l'industrie de la pêche à la baleine, en juxtaposant des photographies de migrants africains s'embarquant sur l'océan dans l'espoir d'une « vie meilleure ». Présentées ensemble, cette section de l'exposition souligne la complexité d'associations qui sous-tend notre rapport à la mer.
Les œuvres de Turner fascinent autant par la simplicité que par la précision des gestes du peintre, qui soulignent à la fois le passage du temps et la menace de la disparition physique ou de la détérioration, rappelant au visiteur la vulnérabilité de l'objet d'art, mais aussi l'insignifiance de l'être humain face à la grandeur de la nature. Cette dernière est particulièrement palpable dans le tableau « La chute d'une avalanche dans les Grisons », présenté dans la section dédiée aux montagnes. Une sensation d'épouvante s'empare du spectateur face à la puissance des éléments représentés dans ce tableau, tandis que le contexte des montagnes invite l'artiste contemporain Olafur Eliasson à mettre l'accent sur la lente destruction par l'homme de son environnement, à savoir la fonte des glaciers alpins mise en évidence dans sa série de photos « The Glacier Melt Series 1999/2019 ». Qui se venge sur qui ? La nature sur l'homme ou l'homme sur la nature ?
Dans la même veine, l'éphémère de l'homme face aux forces de la nature se reflète aussi dans les matériaux utilisés par Turner dans de nombreuses esquisses centrées sur des détails tels que la forme changeante des nuages, la turbulence des embruns ou les crêtes des vagues agitées réalisées avec une maîtrise absolue. Les aquarelles et gouaches paysagères ne peuvent être que très rarement montrées au grand public. Sensibles à la lumière au point d'être exposées au maximum 16 mois sur 10 ans pour permettre leur conservation, le chef d'œuvre « Le Blue Rigi » et bien d'autres travaux sur papier d'une fragilité extrême, nous font prendre conscience du privilège extraordinaire de pouvoir contempler cette collection rarement exposée et sont une raison de plus de se rendre à cette exposition d'été à Monaco.
La dernière salle rassemble les œuvres tardives de Turner, qui sont de pures représentations élémentaires de la lumière et de l'atmosphère, proches de l'art abstrait. Il s'agit sans doute du point culminant de cette exposition et du point final qui ont valu au peintre la réputation de prophète de la peinture moderne. Ainsi, ce n'est sans doute pas un hasard si la mise en scène particulièrement réussie de cette section nous rappelle la solennité d'une cathédrale avec, dans son abside, les tableaux juxtaposés de Turner et d'une figure majeure de l'expressionnisme abstrait, Mark Rothko (1903-1970).
L'intemporalité des œuvres de Turner, de ses paysages aux explorations élémentaires de la lumière et de l'atmosphère, le place parmi les très grands artistes incontournables qui permettent de mieux saisir l'histoire de l'art du 19e siècle jusqu'à nos jours. Mais la découverte de son œuvre est aussi tout simplement une expérience esthétique sublime dans une scénographie inédite à laquelle vous invite le Grimaldi Forum Monaco cet été.
Turner - Le sublime héritage
Grimaldi Forum Monaco
Jusqu'au 1er septembre : tous les jours de 10h à 20h
Nocturnes : les jeudis jusqu'à 22h00 (à l'exception du jeudi 29 août reporté au vendredi 30 août)
Plus d'infos : www.grimaldiforum.com
Monika Woltering - Christophe Colliat-Dragon